03/01/2011
Gbagbo: partira, partira pas?
Il y a quatre ans, une de mes amies alors en poste en Côte-d’Ivoire pour le compte des Nations Unies, dans le cadre de la mise en place du dispositif technique devant permettre, à terme, l’organisation des élections présidentielles dans ce pays me confiait, très sceptique : « je crains qu’elles ne puissent jamais avoir lieu». Sur le principe, disons que le temps a donné tort à mon amie. Car, cela n’a pas pu vous échapper, ces élections tant attendues ont bien fini par se tenir le 28 novembre 2010, après avoir été reportées à six reprises. Mais, au lieu de mettre fin, comme l’espéraient les Ivoiriens, à une décennie de crises à répétition et de conflits ayant coûté la vie à des milliers de personnes, ce scrutin qui, rappelons-le, a mobilisé des moyens humains et logistiques colossaux et englouti, au passage, 200 milliards de F CFA (304 millions d’euros) a conduit, hélas, à un blocage complet. Une situation on ne peut plus ubuesque et hautement explosive. En effet, pris de court par une défaite qu’il croyait « impossible », le président sortant, Laurent Gbagbo, refuse le verdict des urnes favorable à son rival Alassane Ouattara (54, 10% des voix) selon les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante, certifiés par l’ONU et reconnus par l’Union africaine (UA), la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Européenne, les Etats-Unis ainsi que l’ensemble de la communauté internationale. Il s’accroche à son fauteuil, coûte que coûte, s’appuyant sur un Conseil constitutionnel à ses ordres qui l'a déclaré vainqueur à 51%, après coup, une armée à la tête de laquelle, des généraux opportunément promus, ainsi que tous les leviers d'un appareil d’état verrouillé. Rien n'y fait donc. Ni les efforts de médiation entrepris depuis le début, ni la pression internationale sans précédent qui s'en est suivie, accompagnée d’une batterie de sanctions auxquelles s’ajoute la menace de la CEDEAO de recourir à la force afin de le déloger. Quant au président élu dont la patience est sérieusement éprouvée et pour qui "le temps n'est plus aux discussions", il demeure retranché avec son gouvernement au Golf, un hôtel de luxe situé dans le quartier de la Rivièra, protégé par les soldats de l’ONUCI. Pendant ce temps, la tension est à son comble dans la capitale ivoirienne où Charles Blé Goudé, chef charismatique des « Jeunes patriotes » et de la pagaille attise le feu à coup de meetings enflammés et de déclarations à l’emporte-pièce. Dans les quartiers pro-Ouattara, les habitants vivent dans la panique et chaque jour amène son lot d’incidents plus ou moins tragiques. Le Haut commissariat aux droits de l’homme a recensé près de deux cent meurtres depuis les élections, 471 arrestations, nombreux cas de disparitions inexpliquées, sans parler des milliers de personnes qui affluent dans les pays limitrophes pour trouver refuge. Autant dire que tous les ingrédients d’une guerre civile, avec son corollaire de chaos, de morts et de désolation sont en place. Une véritable cocotte-minute prête à exploser à tout moment. A présent, tous les espoirs d’un dénouement pacifique de la situation intenable qui prévaut depuis plus d’un mois en Côte d'Ivoire reposent sur la mission en cours de l’organisation sous-régionale qui privilégie toujours le dialogue. Avant de passer "en dernier recours" à l'étape supérieure puisque l'option militaire "reste toujours sur la table" selon les termes de Goodluck Johnattan, président en exercice de la CEDEAO. Entamée, sans succès tangible jusqu'ici, le 28 décembre dernier par les présidents du Bénin, de la Sierra Leone et du Cap-Vert, cette mission s’est renforcée avec la représentation de l’UA, en la personne du premier ministre kenyan Raila Odinga, l’un des premiers à s’être clairement prononcé pour une opération militaire. Les émissaires vont tenter, une ultime fois, de convaincre Laurent Gbagbo de partir "dignement", sans doute, avec la garantie des « avantages dus à un ancien chef d’état ». Mais rien n’est moins sûr, si l’on se réfère au comportement de l’homme et de ses multiples déclarations depuis le début de la crise. Après avoir crié au « complot » et au « néocolonialisme », appelé à la « résistance » de ses partisans, il s'entête et agite, à qui veut bien l'entendre, l'épouvantail de la « tentative de coup d’état électoral mené sous la bannière de la communauté internationale». Sur les conseils "avisés" de ses avocats français, le socialiste Laurent Dumas et Jacques Vergès (avocat de l'inénarrable Klaus Barbie et autres personnages de triste mémoire), il faudrait même procéder à un recomptage des voix. On le sait, la rhétorique est écculée et personne n’est dupe. Mais il n'empêche que celle-ci trouve un certain écho parmi ceux qui, pour des raisons diverses, fustigent l’Occident ou s’élèvent, à juste titre, contre les turpitudes de la nébuleuse "françafrique". Sauf que pour le cas d’espèce, ceux-là se trompent-ils, peut être, de sujet? De toute évidence, celui que l’on surnomme « le boulanger » (allusion à la capacité de Laurent Gbagbo à maîtriser l’art de rouler tout le monde dans la farine, à commencer par ses adversaires politiques), joue la montre. Ce qui excède de plus en plus le camp adverse comme les membres de la CEDEAO. Lesquels sont conscients des risques que revêt une opération militaire en Côte d’Ivoire qui pourrait, certes, s’avérer inéluctable dans les jours ou semaines à venir, mais dont les conséquences seraient désastreuses aussi bien chez ce poids lourd régional où l’ONU « craint un génocide » à la ruandaise, mais aussi dans tous les pays de l’Afrique de l’Ouest qui y comptent chacun plusieurs milliers de ressortissants. En politicien roué, un brin scinque, Laurent Gbagbo dont les injonctions et autres ultimatums ont laissé de marbre jusqu’ici, le sait très bien et n’en a cure. Il profite même, au maximum, du dilemme et des hésitations de la CDEAO qui joue, dans cette affaire, non seulement sa crédibilité, mais aussi et surtout, l’avenir de la démocratie sur l’ensemble du continent. L'issue de ce conflit fera, en tous cas, jurisprudence dans la pratique d’un processus qui, en Afrique, repose malheureusement sur le manque de vision et l’incapacité des dirigeants à penser le pouvoir en termes d’alternance. La communauté internationale et les institutions africaines parlent d'une seule et même voix pour exiger le respect de la volonté du peuple ivoirien telle qu'elle s'est exprimée dans les urnes. Autrement dit, le départ immédiat de Laurent Gbagbo. La démarche est inédite et il faudrait être de mauvais esprit pour trouver à redire. Mais il est clair que les mêmes acteurs apportent de l'eau à son moulin, pour être restés si souvent amorphes, aveugles et muettes face à d'autres élections où les voix et la volonté des peuples furent tout autant confisquées (Togo, Gabon, Mauritanie, Egypte...). Pour l'heure, Laurent Gbagbo est toujours installé dans son palais et reste, qu'on le veuille ou non, le maître du jeu. La guerre des nerfs est donc loin d'être finie.
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