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27/10/2006

Waed Bouhassoun: une étoile venue de Damas

Un visage d’ange illuminé par des grands yeux verts, une volumineuse chevelure brune et un timbre de voix comme on en entend qu’exceptionnellement. Waed Bouhassoun est une jeune chanteuse syrienne qui explore le patrimoine musical arabe ancien et se réapproprie, entre autres, le répertoire de l’indéboulonnable icône Oum Kalsoum. « Elle est la seule, à l’heure actuelle à pouvoir tenter d’approcher une telle perfection », déclare à son propos, Muhammad Qadri Dalal, directeur de l’Institut de musique d’Alep (deuxième ville de Syrie) et l’un des plus grands luthistes que compte aujourd’hui le Moyen-Orient. Le maître sait de quoi il parle, puisque c’est lui-même qui a auditionné la jeune chanteuse, il y a quelques mois, avant de décider de mettre son ensemble Ornina, à sa disposition. C’est ainsi, accompagnée par cet orchestre prestigieux composé de six musiciens (un tambourinaire, un souffleur de nây, un joueur de qânûn, deux violonistes et Muhammad Qadri Dallal en personne au oud), que la belle chrysalide en pleine mue s’est révélée dernièrement au public parisien, le temps de deux concerts. L’un donné à l’auditorium de l’Institut du Monde Arabe, l’autre à la Maison des Cultures du Monde. Lors de ce double « examen de passage » international, après celui réussi avec brio, quelques semaines au-paravant, devant le public d’Alep dont on dit qu’il est le plus exigeant du monde Arabe, Waed Bouhassoun a tout simplement prouvé qu'il faudra, désormais, compter avec elle. Certes, son entrée en scène manque encore de l’assurance et du cérémonial que seules, savent créer les grandes divas dont elle marche, pourtant, sur les traces. Lorsqu'elle attaque son programme avec Aube quand tu apparais-une chanson syrienne des années 50-, après l’introduction musicale, Bashraf Hijaz, on la sent même un brin crispée, malgré son joli sourire qui ne la quittera pas jusqu’à la fin de son tour de chant. Mais très vite, c’est une Waed transformée, habitée, qui se lance dans l’interprétation de Ô toi qui voyages seul, puis de Et les jours passent, joyaux auréolant la couronne de la reine Oum Kalsoum, signés Mohamed Abdel Wahab. Elle est là, impériale, debout au milieu de la scène, mains levées, coudes fléchis, comme pour une prière, partant chercher jusqu’au au fond de son être, cette force insoupçonnée, qui lui faire tenir et vibrer les notes à merveille, au point de faire oublier qu'elle débute seulement dans le métier. Sa voix rappellant incroyablement celles des grandes chanteuses arabes des années 30-50, se livre alors à des variations époustouflantes:  elle se déploie en montant vers les aigus et s’arrête délicatement vers les sommets, prend son temps, avant de redescendre, le tout dans une parfaite maîtrise du souffle à vous arracher des frissons. Des purs moments de grâce. Et dire que jusqu’au heureux concours de circonstances ayant conduit à son audition, cette jeune femme de 27 ans ignorait totalement posséder un trésor vocal de cette facture ! En effet, Waed Bouhassoun poursuivait tranquillement son apprentissage du oud au sein de l’ensemble féminin de musique classique au Conservatoire de Damas, persuadée, alors, que sa carrière de musicienne était toute tracée. Il a fallu juste un petit rôle dans une pièce de théâtre sélectionnée, il y a un an, au 9ème festival de l’Imaginaire, l’obligeant à chanter un extrait de poème devant le directeur sortant de la Maison des Cultures du Monde, Chérif Khaznadar, pour que le miracle se produise. Pour le plaisir assuré de ceux qui vont bientôt découvrir, à travers une série de concerts prévus prochainement dans plusieurs pays arabes, cette étoile montante dont le prénom, si bien porté, signifie littéralement « promesse ».  

18/10/2006

Ah! que c'est beau le génie!

Je voudrais vous dire deux mots, comme ça, sans prétention aucune, sur un auteur que j’aime beaucoup et qui représente, pour moi comme pour tous ceux qui ont le privilège de connaître son travail, l’une des plus belles plumes actuelles de la scène théâtrale francophone. Il s’agit du québécois d’origine libanaise Wajdi Mouawad. Au cours d’une interview que celui-ci m’avait accordée, il y a trois ans, lors de la 20ème édition des « Francophonies en Limousin » -ce festival international annuel installé à Limoges (France), dédié aux arts de la scène et aux créateurs francophones-, où il venait présenter, à l'époque, sa dernière pièce Incendies,voilà ce qu’il déclarait :« Une histoire, c’est quelque chose que je n’invente pas, mais que je rencontre ». Imaginez alors un dialogue entre une idée et cet esthète de l’écriture, d'un peu plus de 30 ans, timide comme pas deux, qui est entré au théâtre, voilà une dizaine d'années, comme l’on entre dans les ordres. « Bonjour, je m’appelle Forêts, j’ai un copain du nom d’Incendies, qui m’a dit beaucoup de bien de vous. Lui même vous a rencontré parce qu’un autre copain qui s’appelle Littoral, n’avait de cesse de lui parler de vous. Seriez-vous d’accord, pour faire un bout chemin avec moi ?" Et l’auteur de répondre : « bien sûr, puisque les amis de mes amis sont aussi mes amis ». Non, non, ne vous emballez pas s’il vous plaît ! Je tente de vous dire que Wajdi Mouawad est un surdoué de l’écriture et de la mise en scène (en l'occurence de ses propres textes), pas un illuminé. Un artisan des mots hors pair, qui entretient, d’une pièce à l’autre, des relations très intimes avec ses personnages. Lesquels, sont échafaudés minutieusement et de façon collégiale avec les comédiens qui les incarnent sur scène. C’est donc ainsi qu’est née cette trilogie reposant sur la question de l’héritage et dont un fil « sensible » reliant les trois histoires entre elles, a permis à Wajdi Mouawad d’aborder, à chaque fois, le thème de façon différente. La première pièce (Littoral), retrace le parcours d’un jeune homme né, quelque part en Occident, d’un père d’origine étrangère et qui, à la mort de ce dernier, se retrouve avec son corps sur les bras. Déséspéré de ne pouvoir l'enterrer sur place, il va se lancer dans une longue errance, sur le fil des origines, afin de tenter de trouver une sépulture à son géniteur. Une quête qui le conduira jusqu'à la terre de ses ancêtres, hélas, devenue un champ de ruines à cause de la guerre. La deuxième, Incendies met en scène une jeune fille qui cherche à comprendre les raisons du silence obstiné de sa mère. Et c’est une sorte de boite de pandore qui s’ouvre devant elle et où elle plonge, sans filets, dans l'espoir de retrouver, un à un, les bouts de vérité qui vont lui permettre de recoudre le tissu de sa propre vie. Quant à la troisième pièce, Forêts, à l'instar des deux autres, respectivement en 1998 et en 2000, elle fut, dernièrement, l’une des perles de la 23ème édition des Francophonies. Un chef-d'euvre absolu (n'ayons pas peur des mots!). Il est donc toujours question, ici, rapelons-le, d’héritage, mais cette fois, de celui, inconscient, que l’on nous transmet dans le silence, au fil des années, des générations. Il s'agit de cette seconde mystérieuse, dissimulée sous les plis du temps, autour de laquelle semble, pourtant, s’être scellé le sort d’une destinée et d’une vie entières. Une infime seconde où, quelque chose d'important s'est ainsi joué pour nous, à notre insu et qui a, un peu trop souvent, l'incroyable pouvoir de nous broyer, à l'envi, le quotidien. Sans que, a priori, nous puissions en échapper. Dans cette pièce, Wajdi Mouawad met en scène 7 générations de femmes qui vont tenter, quatre heures durant (ça passe très vite rassurez-vous), de résoudre l’implacable équation qui consiste à construire le présent et le futur, avec un legs familial dont on ignore l'essentiel. Puis, les étapes par lesquelles il faut passer, parfois, avant d’arriver à donner un sens à son existance, à vivre, tout simplement. Que vous dire ? Ce sont tous trois des textes d’une puissance et d'une beauté inouïes, remplis d'amour autant que de rage et servis, avec justesse, par des dialogues ciselés, saupoudrés d'un zeste d'humour féroce placé là où, justement, l'on s'y attend le moins. Le tout porté par des acteurs tous habités, capables, par moments, de se livrer à des face-à-face explosifs qui vous remuent jusqu’au tréfonds. Forêts, Ce dernier spectacle d'un auteur fort singulier et au succès modeste, va tourner un peu partout en France, en Europe et au Canada. J'aurais souhaité de tout coeur, qu'un jour, il aille à la rencontre de publics d'autres aires francophones, notamment ceux d'Afrique et du monde Arabe. Et pourquoi pas? En tout cas, si jamais vous en entendez parler près de chez vous, courez-y vite, je vous promets que vous ne le regretterez pas. Quant à Wajdi Mouawad, il vient d’être nommé directeur artistique du Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa, poste qu’il occupera à partir de septembre 2007. Lorsque nous nous sommes revus il y a quelques jours, j’ai été soulagée d’apprendre qu’il n’a aucune intention de ranger sa plume dans sa poche durant ce mandat. Ni de perdre la trace de tous ces personnages qui le nourrissent d’idées nouvelles et nous apportent, le temps d'une représentation, quelque chose ayant la couleur du bonheur à l'état pur. Et l'admirable faculté de nous faire réfléchir, ce qui ne gâche rien, bien au contraire. On est bien d’accord !