31/08/2006
Mon nom est Maoré... Mayotte, si vous voulez
L’« île aux parfums » !!! Je sais, ce doux nom auquel je réponds souvent, sonne aux oreilles des touristes éventuels comme une belle promesse de détente et de bien-être. Tant mieux. Quant à moi, je n'ai pas l'esprit assez libre pour me laisser enivrer par les effluves de cette fleur qui pousse sur mon flanc depuis toujours! Cette fleur fort prisée par les grands parfumeurs de ce monde, qui ne me rapporte quasiment rien. Autant vous prévenir tout de suite: j'ai très peu à voir avec cette image de carte postale que l’on se fait habituellement, depuis l’Occident, de ces petits morceaux de terre lointains, bordés comme moi par l’océan. Tout autour de ma petite stature en forme d’hippocampe s’étale une mangrove, en lieu et place des plages au sable fin où les clients d’hôtels de luxe en mal de soleil et de sensations exotiques pourraient se prélasser à longueur de journée. Mais bon, là n’est pas le problème, j’en conviens. Le vrai souci est que, malgré mes grands airs, mon allure détachée et mon sourire affiché de nuit comme de jour, je suis un nœud de tourments, de paradoxes, de mensonges, de lâchetés bien partagées et de contradictions. J’ai des fourmis dans les jambes et dans ma tête, un gros bazar. Je crois même que j’ai carrément perdu la raison. A tel point que je ne sais plus vraiment comment je m'appelle, ni d’où je viens et encore moins où je vais. Devant moi, c’est le brouillard complet. Voilà des années maintenant, que j’entends souffler les vents des mauvais jours et gronder dans mon ventre, la haine et les tensions grandissantes. Mon voisinage craint même, à juste titre, qu’un de ces quatre matins, je n’explose. Et que le feu qui jaillirait, alors, de mes entrailles n’embrase toute la région. Au fond, je suis complètement perdue. Tout a commencé, il y a un peu plus de 30 ans lorsqu’un jour, suite à un fabuleux tour de passe-passe, je me suis réveillée « française ». Officiellement séparée de mes trois îles-sœurs vouées, dès lors, à un autre destin pas très enviable, loin s’en faut. Ne me demandez surtout pas comment ni pourquoi. D’autres plus calés que moi sur ces questions de droit international, à commencer par les Nations-unies, n’en sont toujours pas revenus. Je sais seulement que ceux qui m'ont mis dans cette posture incongrue ne savent plus trop quoi faire de moi et me traînent, depuis, comme un boulet. Normal, je n’ai ni pétrole ni rien du tout à leur offrir en retour. Me voici donc aujourd’hui, accrochée comme une damnée, à leurs salutaires subventions au léger goût de cyanure. Cela me permet, au moins, de faire bonne figure, même si les états d’âme, les remords, les scrupules, c’est pas mon fort. Vous savez, il y a belle lurette que j’ai jeté dans mon lagon ma fierté, ma vertu, en même temps que mon passé et mon histoire. Aussi, lorsque l'on me bassine avec le sort de ceux qui furent les miens, jadis, qui viennent mourir chaque année, par centaines, non loin de mes côtes, en tentant de traverser à bord de petites embarcations de fortune, le minuscule bras de mer qui nous sépare, eh bien, cela me laisse complètement indifférente. Celui de ces milliers d'autres que l’on reconduit chaque jour en masse à la frontière, après avoir subi toutes sortes d’humiliations et de tracas, ne m'empêche pas non plus de dormir. La sacro-sainte patrie des droits de l'Homme a ses raisons que la raison ignore. Moi, en tout cas, je n’ai qu’une seule et unique préoccupation : accéder le plus vite possible, au statut béni de département de la douce France et jouir allégrement du même traitement que le Lubéron ou la verte Normandie. C’est mon obsession, ma raison de vivre, ma respiration. Le reste, ma foi, est une autre histoire !
07:30 Publié dans Mon oeil | Lien permanent | Commentaires (7)