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15/11/2005

Moi, princesse aux pieds nus

Vous ne me connaissez pas. Mais moi je vous connais. Vous êtes le Maître du monde. Je viens d'un pays lointain où il ne pleut jamais, mais où tout le monde n'est pas malheureux. Il y a des gens, là-bas, qui sont même aussi nantis que vous, je vous le jure. J'ai fait le déplacement exprès pour venir vous voir, pour vous parler. Voilà. Je m’appelle Victoire. J’avoue que lorsque ma mère m’a expliqué ce que cela voulait dire, je suis restée un peu interloquée. Car, voyez-vous, je suis née au milieu des ordures, dans la puanteur, juste derrière la décharge publique. Ma maison est un amas de cartons, de tôles ondulées, de branches ramassées ici ou là. Comme vous pouvez le constater, je suis haute comme trois pommes, mais je ne me laisse pas faire. Mes copains et mes copines, tous en guenilles comme moi, m’ont élue chef de la bande. Remarquez, ils n’avaient pas le choix : je suis tellement forte ! C’est moi qui me lève avant tout le monde, qui veille sur le bien-être de chacun, comme une vraie petite maman. C'est encore moi qui guette l’arrivée des premiers camions-poubelles. Qui distribue les rôles et prend la tête des opérations, lorsqu’il s’agit de plonger, la tête la première, au milieu des sacs plastiques, des bouteilles vides et des restes des dîners de toute la ville, pour gagner notre pitance quotidienne. Il y a des jours AVEC et des jours SANS, bien sûr. Mais la règle, entre mes amis et moi, est de travailler dur et de ne jamais se plaindre. Ma mère est morte depuis longtemps. D’une maladie très grave et très répandue, qui, paraît-il, n’épargne même pas les riches. Mais pour ça, non plus, je ne me plains pas. Car aucun d’entre nous n’a de parents. Nous avons appris à nous débrouiller tout seuls. Aussi, si je me trouve devant vous aujourd’hui, ce n’est pas pour vous demander l’aumône. Non, ça n’est pas mon genre ! J’ai ma fierté tout de même ! Je veux juste que vous m’appreniez à lire et à écrire. Que vous m’appreniez, surtout, à dessiner des rêves, même d’un jour. Pour que grâce à moi, les yeux de mes amis voient, au moins une fois, une seule, autre chose que la misère. Pour que ma mère, de là où elle est, se dise, qu'elle a eu raison de m’avoir choisi mon prénom.

09/11/2005

Allo, y'a quelqu'un?

Il a sonné à la porte et, le cœur battant, elle a ouvert. Ils se sont regardés. Premier choc. Ses jambes ne la portent déjà plus. Au secours ! Brusquement, tendrement, de ses bras, il la fait prisonnière. Elle respire à peine. Ca y est, elle est cuite, elle se rend. Puis, leurs lèvres se cherchent et se rapprochent doucement. Le sol se dérobe alors sous ses pieds et, tout d’un coup, elle part. Elle gravit les collines, redescend les vallées, pas à pas, longe les rivières. Elle fait d’autres rencontres, elle se rebiffe. Dans sa tête, remontent les effluves du ventre de la terre et s'installe un silence abyssal qui résonne comme des milliers de tambours. Elle livre bataille contre une armée de fantômes. Elle plonge. Elle se noie. Elle meurt. Combien de temps est-elle restée dans le coma ? Cinq minutes, une heure, deux ans ? Elle avait laissé Mozart en sourdine. Et, lorsqu’elle a ouvert les yeux, de guerre lasse, les notes s’étaient tues.