19/11/2005
Salue les anges pour moi
Il est de ces anniversaires dont je me serais bien passée. Celui-ci, en particulier, qui célèbre ce jour à nul autre pareil, où tu es parti sur la pointe des pieds, sans crier gare. Sans me dire au revoir. Choisissant, précisément, ce moment d'exception qui te ressemble, entre la fin jour et le début d’un autre jour. Comment as-tu pu me faire ce coup-là ? Toi qui était patient comme personne, qui haïssait tant l’imprévu et savait si bien prendre le temps pour toute chose? C’est étrange. Sans doute, parce que tu voulais éviter le tapage des adieux difficiles et sortir de la scène, comme tu as vécu, dans le calme et la discrétion.Tu voulais m’empêcher de te supplier de rester. Car, pour avoir trop longtemps attendu, tu ne pouvais plus attendre.Tu n’avais plus le temps de prendre ma main dans la tienne. De la caresser tendrement et d'y lire, une dernière fois, jusqu’au bout des ongles, tes rêves de grand-père.Tu ne pouvais plus me décrocher ce sourire qui nourrit mes souvenirs d’enfant et qui s’entête à se suspendre à mes lèvres, encore, comme une empreinte, comme un signe de reconnaissance. Sais-tu seulement à quel point tu me manques ? Combien j’aurais aimé que ce petit bonhomme qui me regarde avec tes yeux et me harcèle de questions, puisse te demander, lui-même, comment marchent les saisons. Et pourquoi les oiseaux se cachent-ils pour mourir. Tu sais bien que je ne suis pas douée pour ces choses-là ! Je ne sais pas non plus, comme toi, arrêter le temps ni attraper les étoiles. Je ne connais pas le langage des pierres, ni celui des arbres avant les pluies de décembre. Je sais à peine lui fredonner cette chanson, que le grand vent qui t’a emporté si loin, t’a privé de nous chanter à ma petite sœur et à moi. Et je lui dis, pour le consoler de ne jamais pouvoir connaître la délicate chaleur de tes bras, que tu étais un être rare et que parmi les anges, tu veilles sur nous. Qu’avant de fermer les yeux à jamais, tu as prié encore pour que, tout comme toi, il soit bon, généreux et beau comme un dieu. Amen!
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15/11/2005
Moi, princesse aux pieds nus
Vous ne me connaissez pas. Mais moi je vous connais. Vous êtes le Maître du monde. Je viens d'un pays lointain où il ne pleut jamais, mais où tout le monde n'est pas malheureux. Il y a des gens, là-bas, qui sont même aussi nantis que vous, je vous le jure. J'ai fait le déplacement exprès pour venir vous voir, pour vous parler. Voilà. Je m’appelle Victoire. J’avoue que lorsque ma mère m’a expliqué ce que cela voulait dire, je suis restée un peu interloquée. Car, voyez-vous, je suis née au milieu des ordures, dans la puanteur, juste derrière la décharge publique. Ma maison est un amas de cartons, de tôles ondulées, de branches ramassées ici ou là. Comme vous pouvez le constater, je suis haute comme trois pommes, mais je ne me laisse pas faire. Mes copains et mes copines, tous en guenilles comme moi, m’ont élue chef de la bande. Remarquez, ils n’avaient pas le choix : je suis tellement forte ! C’est moi qui me lève avant tout le monde, qui veille sur le bien-être de chacun, comme une vraie petite maman. C'est encore moi qui guette l’arrivée des premiers camions-poubelles. Qui distribue les rôles et prend la tête des opérations, lorsqu’il s’agit de plonger, la tête la première, au milieu des sacs plastiques, des bouteilles vides et des restes des dîners de toute la ville, pour gagner notre pitance quotidienne. Il y a des jours AVEC et des jours SANS, bien sûr. Mais la règle, entre mes amis et moi, est de travailler dur et de ne jamais se plaindre. Ma mère est morte depuis longtemps. D’une maladie très grave et très répandue, qui, paraît-il, n’épargne même pas les riches. Mais pour ça, non plus, je ne me plains pas. Car aucun d’entre nous n’a de parents. Nous avons appris à nous débrouiller tout seuls. Aussi, si je me trouve devant vous aujourd’hui, ce n’est pas pour vous demander l’aumône. Non, ça n’est pas mon genre ! J’ai ma fierté tout de même ! Je veux juste que vous m’appreniez à lire et à écrire. Que vous m’appreniez, surtout, à dessiner des rêves, même d’un jour. Pour que grâce à moi, les yeux de mes amis voient, au moins une fois, une seule, autre chose que la misère. Pour que ma mère, de là où elle est, se dise, qu'elle a eu raison de m’avoir choisi mon prénom.
16:25 Publié dans Mes p'tites histoires | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature