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12/12/2007

Une femme debout

Elle a tout vu, tout entendu, tout vécu. Son corps flétri, fatigué, est aussi vieux que le siècle. Mais Fdéla, elle, a la ferme intention de rester debout. Jusqu’au dernier souffle. Rien, pas même sa mémoire qui flanche, " ce vieux sac vide usé jusqu’à la trame ", ne peut l’empêcher de nous raconter son histoire. Une histoire qui se confond avec celle du Maroc, depuis l’occupation par la France en 1912, jusqu’aux émeutes de Fès, en 1990. Le ciel sans détours, dernier roman de Kébir M Ammi, est le portrait de cette femme libre, courageuse, d’une inébranlable dignité, ayant connu toutes les vicissitudes, les revers du destin, les humiliations, sans jamais baisser les bras. Vagabonde lumineuse, elle fut, en effet, esclave, vendeuse de fruits à la sauvette sur le marché, prostituée, " dealer ", chanteuse de cabaret… Elle a connu la rue, a dormi à la belle étoile, fut torturée puis, jetée en prison. Sa peau porte les marques indélébiles des ces épreuves, celles de l’histoire de son pays qu’elle a sillonné du nord au sud, d’est en ouest, celles des tourments de son époque et de la folie des hommes. Qu’importe ! Fdéla n’est pas femme à s’apitoyer sur son sort. Malgré son grand âge, elle continue de se battre, comme hier, avec la même ténacité, contre toutes les formes d’injustice, pour la liberté. Et de profiter de chaque instant de bonheur que la vie veut bien encore lui offrir. C’est un récit passionnant, plein de souffle et de rebondissements. Emaillé parfois d’images violentes, il s’y installe pourtant, très vite, un climat de douceur à l’intérieur duquel circule une philosophie, une vision du monde remplie d’amour et d’espérance qui se laisse tranquillement attraper. On retrouve une fois encore, avec bonheur, cette construction à la musique limpide et précise, cette langue savoureuse foisonnante de poésie et de générosité que l’auteur maîtrise à la perfection. Puis, cette écriture où l’on déguste les mots avec un plaisir gourmand, qui sait ciseler les situations, les décors, vous faire arpenter les lieux comme si vous y étiez, glisser dans l’esprit des personnages pour partager leurs émotions et leurs sentiments. A travers cette mémoire à rebours d’une héroïne anonyme, Kébir M. Ammi dessine avec une implacable lucidité, sans fioritures ni jugement, une fresque de ce Maroc qui l’a vu naître, avec ses zones d’ombres et de lumière. Tout au long de ces 310 pages faites d’allers-retours entre passé et présent, rêve et réalité, différents lieux, différentes époques, il décrypte, en filigrane, la complexité du monde et des rapports humains. Autour de la narratrice -imperturbable Fdéla s’exprimant à la première personne-, l’auteur aligne avec sa fine plume habituée à ce genre d’exercice, une galerie de personnages inattendus et souvent insaisissables. Totalement habité par cette mère Courage insoumise et audacieuse, Kébir M. Ammi qui, par ailleurs, nourrit une profonde aversion pour l’évidence, la facilité, prend un malin plaisir à entraîner le lecteur dans des voies sans issue. Pour mieux construire une représentation de la réalité où ce dernier devient seul maître à bord, avec toutes les cartes en main pour se faire sa propre opinion. Au fil des pages, on palpe cette saine arrière pensée chez un auteur qui donne l’impression de ne pas vouloir seulement nous conter une histoire, fût-elle attachante. De livre en livre, Kébir M. Ammi invente des personnages qui savent raconter ses propres questionnements, ses propres errances, ses origines. A travers la trajectoire de Fdéla, il revient, cette fois, après l’Algérie de son père dans " Apulée, mon éditrice et moi ", son précédent ouvrage, explorer le " sein " maternelle du Maroc. Et lui entonner ce chant d’amour qui résonne au plus près des blessures, des révoltes et du cœur. Le ciel sans détours est un texte d’une épaisseur littéraire remarquable, bercé tout entier par une rage folle de vivre et d’aimer. Un régal.

 

" Le ciel sans détours ", Kébir M. Ammi, Gallimard, 310 p., 19 euros

 

07/11/2006

Bravo l'artiste!

Alain Mabanckou, sans doute, l’auteur africain le plus en vogue à l’heure actuelle a obtenu, hier, le prix Renaudot 2006 pour son dernier roman, « Mémoires de porc-épic », paru aux éditions du Seuil. Fable animale philosophique pleine de poésie, d’humour et d’imagination qui participe, à coup sûr, tout comme l’ensemble de son œuvre, à donner des nouvelles saveurs et des couleurs à la langue française. L’année dernière, déjà, cet écrivain congolais de 42 ans, professeur de littérature francophone à l’université de Californie Los Angeles (Ucla) a raté seulement d’un poil, la prestigieuse distinction, avec son désormais célèbre et truculent « Verre cassé ». Et le voilà qui l’emporte, cette fois, pour la grande satisfaction de ses nombreux admirateurs, dont je fais partie. Et tant pis pour les jaloux et les esprits chagrins. Néanmoins, cette joie que nous partageons avec lui, ne change rien à ce que nous pensons de la basse guéguerre que se livrent, depuis trop longtemps, sur notre dos…et notre porte-monnaie, les maisons d’éditions et leur système d’attribution des prix littéraires. Ce système vérouillé par l'hypochrisie bien partagée où l’on ne récompense pas forcément le meilleur livre, même si cela peut arriver, parfois. Ce qui est le cas, dieu merci, pour ces « Mémoires de porc-épic », que des milliers de lecteurs trouvent tout à fait à leur place en haut du podium. Aussi, à ces "confessions" hérissées de piquants régénérateurs comme à leur auteur, toute l’Afrique debout, souhaite bon vent. Et pour une fois, depuis le balcon et non du trente-sixième dessous.