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03/04/2006

Vous avez dit Francophonie?

A moins que vous ne viviez totalement reclus, terré dans un trou, quelque part au fin fond de la France, sans aucun contact avec l'extérieur, vous n’avez pu manquer le tapage médiatique autour du dernier Salon du Livre à Paris. Rassemblant les écrivains issus des pays ayant le français en partage, l’événement marquait, en même temps, le lancement de l’année de la Francophonie sur tout le territoire. Pour beaucoup, parmi les poètes, romanciers, essayistes ou conteurs, conviés à cette grande parade de la Porte de Versailles, laquelle, sauf exception, comme ce fut le cas cette année, n’intéresse plus que les « professionnels de la profession » -à l'instar des Césars ou des Molières-, la langue de l'ancien colonisateur fait partie de leur construction identitaire. Quelquefois, au même titre que leur langue maternelle. Ils l’ont adoptée puis choisie, sans complexe ni état d’âme, comme moyen d’expression de leurs imaginaires, de leurs cultures diverses et variées, mais aussi et surtout, pour dire leur vision du monde. Quoi qu’en pensent les esprits chagrins, c’est à ces hommes et ces femmes provenant de cet espace enraciné dans les cinq continents, que revient le mérite de renouveler et d’enrichir sans cesse avec leurs univers, leurs accents, leurs couleurs, une langue qui ne fait plus désormais le poids face à un anglais dominant, dans le processus en cours de la mondialisation.

 

Il semble, pourtant, qu’il ait fallu mettre en place une telle opération pour que l'on découvre sous la lumière, des auteurs pour la plupart prolixes et reconnus par delà les frontières de leur propre pays et de l'Hexagone. On le sait, il y a longtemps que d'aucuns ont rangé le concept même de Francophonie dans le grenier, sur la même étagère que les vieilles porcelaines fêlées et poussiéreuses de grand-mère, dont on ne se sert plus, sans jamais oser s’en séparer. Mais chut ! D’ailleurs, n’est-il pas fort étonnant que parmi les 63 états et gouvernements francophones, celui qui l'est le moins soit la France elle-même ? Les organisateurs du Salon du livre le savent bien puisque, leur sélection officielle des écrivains invités ne comptait aucun français!!! Bizarre non? Néanmoins, les mastodontes comme les petits poucets de l'édition française étaient là, évidement, bien propres sur eux, s'affichant aux meilleures places devant leurs cargaisons plus ou moins intéressantes, soutenues à coup de publicité, d’émissions télé et radio etc. En tout cas, apparemment, tout le monde était content. A commencer par ces combattants de la plume venus d’ailleurs qui, loin d'être dupes, n'ont pas boudé cette vitrine inespérée que, pour une fois, l’on a daigné leur offrir! Même si, ne nous y trompons pas, c’est pour des bien basses et inavouables raisons. Que cela ait pu profiter à quelques uns parmi eux ne peut être qu’une excellente chose! La semaine dernière, par exemple, pour faire un cadeau à une amie, j’ai fait trois librairies sous la flotte, à la recherche de Aux Etats-Unis d’Afrique, le dernier opus du djiboutien Abdourahmane Waberi (éditions J.C Lattès) dont j'ai le plaisir de suivre, même de loin, le travail depuis pas mal d’années. Eh bien, trois fois de suite, je me suis vue répondre avec un sourire : « désolé, c’est en rupture de stock » ou encore « le dernier vient de partir à l’instant, on vous le commande si vous voulez ». C’est bien la première fois que j’entends cela à Paris, à propos d’un auteur africain ! Pas de toute, le grand spectacle a eu son petit effet et l'on ne va pas s'en plaindre. C’est tout à fait louable mais néanmoins pathétique et, surtout, révélateur d’un certain malaise.

 

Tout ceci me fait penser au même boucan médiatique, ayant entouré ces derniers jours, l’annonce du remplacement prochain de notre PPDA national durant ses vacances d’été, par le présentateur d’origine martiniquaise, Harry Roselmack. N’est-il pas malheureux, voire honteux, qu'en 2006, dans un pays comme la France, l’on en soit encore à considérer comme quelque chose d'extraordinaire, un simple remplacement par un Noir, fût-il à la grand-messe du 20 heures de la plus puissante chaîne nationale ? Inutile de rappeler que dans les pays anglophones la même chose serait d’une banalité sans nom et cela en dit long sur l’état des mentalités dans ce pays. Il n’empêche ! Je suis ravie pour la quarantaine d’auteurs francophones du dernier Salon du Livre, comme pour ce confrère dont on vante tant les qualités professionnelles ! En attendant, tout de même, comme tout le monde, de juger sur pièce !

23:10 Publié dans Mon oeil | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

J'ai bien aimé le ton final de votre texte. Il permet de voir, à giorno, à quel point la France raisonne selon le schème colonial et esclavagiste opposant le Noir, considéré comme intrinsèquement inférieur, au Blanc, considéré comme né pour donner des leçons et diriger. Votre remarque est fort juste: faire du remplacement estival de PPDA par le désormais "alibi noir" Roselmack une afaire d'état témoigne de l'anachronisme psychico-intellectuel dont souffrent toutes les franges de la population française. Oups! Le black et le beur n'en font pas partie, que ce soit clair! Oui, je disais "toutes les franges de la population française". Les politiques sont au premier chef. De par leur comportement, limite cynique, vis-à-vis de ces parias français, ils perpétuent dans l'imaginaire du français de souche, la francité étant faite de strate, le Black d'ya bon banania et le beur d'ispiss di counass. Rappelons-nous l'histoire de Senghor ou plutôt de sa dépouille. Aucun politique français au pouvoir, à sa mort, ne s'est rendu à ses funérailles. L'Elysée, rappelons-nous, s'est contenté d'un simple communiqué dans lequel Chirac disait regretter la perte d'un grand poète. Ou une broutille de ce genre. Au diable le role central que le Sénégalais a joué dans la construction de la francophonie. Aux dirigeants africains de méditer la mort de Sédar et de se rappeler qu'"un long séjour dans l'eau ne suffit pas à transformer un tronc d'arbre en crocodile".

Écrit par : M.SOYIR (Badjrafèle) | 10/04/2006

Il y aurait tant à dire encore sur les rapports étranges que le "pays des droits de l'Homme" entretient avec son passé et une grande partie de son histoire contemporaine. Quant à son actualité, dont on connaît la place réservée aux minorités " (in)visibles", il y a de quoi faire réfléchir ceux qui se sont rendus complices d'une certaine politique, comme tous ceux qui luttent contre la cécité et l'amnésie ambiantes. Bienvenu en tout cas cher M. SOYIR et merci pour votre commentaire. A bientôt.

Écrit par : sitti | 10/04/2006

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