28/01/2011
Egypte : comme "un parfum de jasmin"
Ce sont des images impensables il y a peu, que nous retransmettent les télévisions du monde, sur la mobilisation sans précédent, au quatrième jour de manifestations populaires anti-Moubarak. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues du Caire, de Suez et d'Alexandrie, ce vendredi, jour de grande prière chez les musulmans, pour réclamer "la chute du régime", le départ de celui qui dirige l'Egypte d'une main de fer depuis 30 ans. Plus de doute, l'onde de la « révolution de jasmin » est en train de s'étendre jusqu'aux pyramides. Mais si en Tunisie le mouvement ayant conduit à la chute de Ben Ali a pu être relayé par les réseaux sociaux (Facebook, Twitter) et par SMS, les Egyptiens ne peuvent compter sur les nouvelles technologies car, l'accès à Internet et aux téléphones mobiles est coupé. Les quelques opérateurs de la place ayant cédé à la pression des autorités. Mais malgré le couvre-feu, il semble que la rue commence à dicter ses règles du jeu. Les manifestants, de plus en plus incontrôlables ont mis le feu au siège du parti au pouvoir et à des commissariats de police. Tout un symbole. L’on assiste à des scènes quasi-insurrectionnelles. La police, intervenue en grand nombre fut débordée et les affrontements se sont soldés par plusieurs morts et des centaines de blessés. Les chars ont fait leur apparition dans les rues. Va-t-on assister à une fin de Moubarak façon Ben Ali ? Nul ne le sait car, au pays des Pharaons, la situation est plus complexe et les enjeux différents. Malgré le verrouillage des libertés, la torture, le chômage et la misère (plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour), le vieil autocrate de 82 ans, malade, bénéficie de solides soutiens. En l'occurrence, les Etats-Unis qui le considèrent comme un élément de stabilité dans cette partie du monde en proie à des conflits sans fin et dépensent, chaque année, des millions de dollars destinés en grande partie à son armée. L'Egypte, pays le plus peuplé du monde arabe, frontalier d’Israël est l’un des rares de la région à entretenir des relations diplomatiques et de bonne intelligence avec l’état hébreu. Une position qui lui confère une place importante dans les négociations autour de la question israélo-palestinienne. L’attitude de l’armée, à qui il a été intimé l’ordre « d’assurer la sécurité » va être déterminante. Va-t-elle tirer sur la foule ou, au contraire, « fraterniser » avec les manifestants ? Dans un cas comme dans l’autre, quelle sera celle des alliés de Moubarak ? Vont-ils le lâcher ou continuer à lui chuchoter à l'oreille « le respect de la liberté d'expression et la retenue » ? Que va être, dans les jours qui viennent, le rôle des « Frères musulmans », principal parti de l’opposition éjecté du Parlement lors des récentes élections législatives ? Une chose est sûre : quelque chose est en train de se passer en Egypte qui ne pourra plus s'arrêter. Ces émeutes, les plus importantes depuis l’accession au pouvoir de Hosni Moubarak, en 1981, après l’assassinat d'Anouar El Sadate ébranlent son régime et vont laisser des traces. En attendant, dans les chancelleries occidentales, on guette, on suppute et chacun y va de sa « petite déclaration ». Histoire, sans doute, de conjurer une tournure des événements que personne ne maîtrise.
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22/01/2011
Tunisie: le combat continue
Ainsi donc le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali est tombé. Plouf, par terre, comme un fruit pourri, déposé par une rue aussi en colère que déterminée. Après 23 ans de règne sans partage, il est parti comme un voleur, dans la précipitation, la queue basse, en cette journée du 14 février 2011 qui restera gravée dans la mémoire des Tunisiens, du monde arabe et au-delà. Qui aurait parié un dinar sur une telle issue des émeutes et de la mobilisation populaire qui ont secoué la Tunisie durant ces cinq dernières semaines ? Le monde entier n’en finit pas de saluer ce que l’on appelle désormais la « Révolution de jasmin ». Chacun loue le courage d’un peuple qui a réussi à s’extirper de la chape de plomb imposée par un système liberticide et répressif, basé sur l’omniprésence de la police et des services des renseignements, le clientélisme, le pillage systématique au bénéfice d’un clan mafieux. Un peuple qui a payé le prix fort pour sa liberté, avec 100 morts au total durant la crise, selon le dernier bilan de l’ONU. Sans parler des milliers d’autres citoyens qui, pour leurs idées, leurs opinions, croupissaient dans les geôles, ont été humiliés, persécutés ou forés à l’exil. La révolution tunisienne suscite forcément l’admiration, le respect et incarne l’espoir pour beaucoup. Mais pour les Tunisiens eux-mêmes, les sentiments sont mêlés, l’euphorie d’une liberté retrouvée se confond à la peur des lendemains qui déchantent. Car, Ben Ali est parti, certes, mais la machine infernale qu’il avait soigneusement mise en place conserve sans doute encore sa force de nuisance. Comme cela s'est déjà produit ailleurs, les attentes en matière de démocratie, de nouvelles institutions, d'un autre mode de gouvernance et de gestion des finances et des biens publics…bref, cet impérieux besoin de changement peut être contrarié par des nostalgiques qui n'ont peut-être pas encore dit leur dernier mot. Voire déboucher sur l'anarchie et le chaos, si l’on baisse la garde. La jeunesse tunisienne qui a été la clé de voute du mouvement en relayant celui-ci à travers les réseaux sociaux et en investissant les rues au cri de « Ben Ali dégage », ne veut en aucun cas marchander "sa révolution" et encore moins se la laisser confisquer. Rien de plus légitime, mais il est clair que le plus dur reste à faire. La question maintenant est de savoir comment assurer une transition sereine et efficace avant les élections prévues dans les six mois ? Pour l’heure, les Tunisiens veulent avant tout « faire table rase du passé ». C’est pourquoi, les manifestations ont repris à Tunis et dans plusieurs villes du pays, comme Sfax (centre-est) et Sidi Bouzid (centre-ouest) d’où tout est parti avec, souvenons-nous, l’immolation par le feu, le 17 décembre dernier, du jeune diplômé-vendeur de légumes Mohamed Bouazizi. Cette fois, le mot d’ordre est « RCD dégage». Le Rassemblement Constitutionnel Démocratique, le parti du despote déchu est ainsi devenu la cible privilégiée des manifestants. D’une part, parce qu’il est le symbole le plus représentatif de l’ancien régime. D’autre part, la présence dans le gouvernement de transition des caciques de l'équipe Ben Ali aux mêmes portefeuilles-clés de la Défense, des Affaires étrangères, de l'Intérieur et des Finances est perçu comme une usurpation, voire une provocation. Ainsi, à peine constitué, le nouveau gouvernement a essuyé, à la veille de son premier conseil de ministres, ce jeudi, des démissions en cascade dont celle des trois représentants syndicaux de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et du forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL). Sous la pression grandissante de la rue, le président par intérim Foued Mebazaa et le premier ministre Mohamed Ghannouchi se contorsionnent comme ils peuvent pour donner, quasiment chaque jour, des gages d'ouverture et de bonne volonté : annonce de la libération des tous les prisonniers politiques ; démission des membres du gouvernement du RCD ; dissolution du bureau politique de celui-ci ; adoption d’un projet de loi d’amnistie générale dont vont bénéficier également les membres du mouvement islamiste Ennahda ; arrestation de 33 membres de la famille Ben Ali accusés de « crime contre la Tunisie » ; promesse d’abrogation de « toutes les lois anti-démocratiques » (sic)…. Mais rien de tout cela ne semble convaincre, ni dissuader les manifestants de redescendre dans la rue. Ils ont eu la peau de Ben Ali, il n’y a aucune raison qu’ils n’aient pas celle de ses anciens serviteurs. Et donc du gouvernement de transion qui est sous leur emprise. C’est juste une question de temps. Pourvu qu’après, la "révolution de jasmin" qui, par ailleurs, semble titiller les esprits dans le Maghreb et tout le monde arabe, n’accouche pas du pire.
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