11/12/2009
Symphonie du Nouveau Monde
Salut à Tous. Je sais, ça fait un bail que je ne vous ai rien servi de neuf. Hélas, ce sont des choses qui arrivent. Néanmoins, je constate avec plaisir, que vous êtes très nombreux à visiter régulièrement ce petit espace perso, où j'ai l'habitude de livrer, sans prétention aucune comme vous le savez, quelques impressions, de partager ce qui me passe par la tête, mes coups de coeur comme mes petits coup de griffe à propos de plein de sujets, entre autres, quelques unes des oeuvres artistiques ou littéraires ayant attiré mon attention. En guise de re-prise de contact, voici une petite chronique sur "Les vertus immorales", le dernier opus de Kébir Mustapha Ammi, un auteur que j'apprécie particulièrement. Mon texte a été publié précédemment dans le magazine Afrique Asie, mais comme ce palpitant ouvrage paru aux éditions Gallimard vient de recevoir le Prix des écrivains de langue française (ADELF) Maghreb-Afrique méditéranéenne, il me plait de vous donner envie de le découvrir. Soyez-en donc remerciés. A très vite.
Symphonie du Nouveau Monde
Son œuvre s’est construite autour de personnages souvent meurtris, exclus de la société, en quête d’identité, de vérité, de justice ou de liberté. Des personnages tiraillés par leurs questionnements, mais remplis d’une énergie folle, toujours enclins à nous bouleverser, à nous désarçonner, grâce à leur extraordinaire capacité à s’inventer un destin. Voilà comment, à longueur de livres, Kebir M. Ammi se balade dans les labyrinthes de la littérature, sans jamais perdre le souffle, aidé par la fluidité et la puissance d’une plume mélodieuse, reconnaissable dès les premières pages, qui semble taillée exprès pour tricoter toutes sortes d’histoires. Le narrateur de son dernier roman Les vertus immorales, est un peu à part. Trop pressé de vivre et de découvrir le monde, il n’a ni la propension, ni le temps, de s’attarder sur ses blessures. « J’accueillais avec ironie les mauvais coup du sort même lorsque j’étais à terre ; j’avais suffisamment de ressources pour me remettre sur pied et rire de mes déboires ». Ainsi parlait le jeune Moumen, alors que dans sa tête se confrontaient, déjà, Dieu et le diable et grandissaient avec lui ses rêves d’Amérique. Le livre raconte les aventures de cet homme singulier, « né sous le signe du chaos et des grandes batailles » à Salé, cité de la côte atlantique marocaine en proie, en ce début du XVIème siècle, à la brutalité, aux tentions religieuses et autres tourments de l’époque. Nourri de la lecture des écrits de Marco Polo auprès d’un ancien prêtre venu de Gênes, il traverse l’Europe à 14 ans et réussit à embarquer à bord d’un navire en partance pour le Nouveau Monde, 35 ans après Christophe Colomb. Sur cette terre lointaine alors objet de toutes les convoitises, l’homme qui n’est plus le même depuis longtemps, se trouve aux prises avec les Anglais, les Espagnols… et les indigènes. Son parcours est un chapelet de défis, de péripéties, dans des environnements hostiles où pullulent des individus, pour le moins, peu recommandables. Doté d’une intelligence hors normes, champion des langues et de la poésie, médecin à ses heures, féru à l’art de la ruse et de la manipulation, Moumen décide d’établir ses propres codes. Il change d’alliances au gré des circonstances et n’hésite pas à se livrer, à son tour, aux pires ignominies pour défendre sa peau ou ses propres intérêts. Et de découvrir, au soir d’une vie trépidante passée à triompher de ses ennemis, que l’essentiel est ailleurs et que la vertu est une notion toute relative, dont les lignes peuvent bouger à tout moment… Il fallait la verve de Kebir M. Ammi, pour nous dérouler ce roman picaresque plein de rebondissements, qui pose un regard acéré sur les mystères de la nature humaine, au cœur d’un monde où le sens semble s’être fait la malle, où chacun est un loup en puissance qui n’attend que le moment propice pour dévorer son prochain. Avec sa langue toujours soignée, qui distille un humour salvateur niché jusque dans les interstices de scènes d’une violence à nous retourner les boyaux, Kébir M. Ammi pousse habilement, une fois de plus, le lecteur dans ses retranchements. Avec cette faculté bien à lui à s’introduire dans notre être profond, pour y débusquer nos turpitudes, l’ange et le démon qui sommeillent en chacun de nous. C’est aussi une ode à la nature et ses splendeurs -une constante chez l’auteur-, en même temps qu’une réflexion sur la confrontation des cultures et des civilisations, musulmane, chrétienne et primitives. Un sujet qui trouve une résonance particulière, en ces temps troubles où la haine et la méfiance entre les peuples reviennent au devant de la scène, bien souvent sous les prétextes les plus fallacieux. Les vertus immorales est un roman que l’on traverse à la fois le cœur serré, le sourire aux lèvres et la tête complètement à l’envers. Superbe.
Sitti Saïd Youssouf
Les vertus immorales: éditions Gallimard -224 p, 17,50 euros.
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04/05/2008
La mécanique du désir au féminin
C’est un petit ouvrage de 200 pages, nourri par une joyeuse et brillante légèreté qui, il ya quelques mois, sans bruit, a jeté un beau pavé dans la marre des clichés véhiculés depuis des lustres par les médias, sur les désirs des femmes, leur sexualité, leurs aspirations… Il s’agit de " Ce que femme désire ", de Kadi Sy Bizet (médecin d’origine africaine, spécialisée dans le traitement des problèmes dermato-esthétiques des peaux noires et métissées) et Eliza de Varga (parolière et auteure, d’origine française). Ces dernières années, en effet, nombreux médias triomphalistes, les magazines féminins en tête, n’ont eu de cesse de nous rebattre les oreilles sur le sujet, à coup de gros titres tapageurs et d’articles fumeux, sans consistance. Des " spécialistes " autoproclamés nous y ont servi, jusqu’à plus soif, moult histoires débiles de fantasmes et d’orgasmes, professant sans discernement, les normes d’un " droit à la jouissance ", valable pour l’ensemble de la junte féminine. Or, qu’en est-il vraiment ? Entre ces discours formatés, normatifs et les attentes réelles des femmes, leur intimité et leurs sentiments, le fossé est pour le moins abyssal et le trio désir-plaisir-sexualité n'a jamais été aussi difficile à cerner. C’est pour rétablir les choses et donner à comprendre ce qu’est véritablement la mécanique du désir féminin, que les deux auteures ont réuni leurs plumes, en toute simplicité. Riches de leurs expériences et de leurs cultures différentes, elles ont pris le parti d’interroger l’Histoire, les mythes, les traditions, dans les sociétés occidentales comme africaines, mais aussi la philosophie, voire la psychanalyse. Puis, elles sont allées à la rencontre d’autres femmes et d’hommes issus de divers horizons, lesquels se sont prêtés au jeu pour raconter leur rapport au désir, ce " carburant de vie, qui nourrit nos fantasmes et structure notre affect ". Certaines comme Mariame livrent spontanément leurs fêlures, leur combat lorsqu’il s’agit, par exemple, d’échapper au mariage forcé. D’autres, comme Eva, leurs doutes, leurs recettes de séduction et autres gris-gris ou leur soif de liberté d’aimer. De cette passionnante enquête, où l’on exalte le désir et révèle ses entraves depuis la nuit des temps, où l’on apprend pourquoi les femmes rient, pleurent ou jouissent, il en ressort que c’est avant tout, une affaire basée essentiellement sur le lien construit avec l’autre et vécue selon l’éducation, l’environnement, la trajectoire et la personnalité de chacun. La démarche a permis également à Khadi Sy Bizet et Eliza de Varga, de sonder les courants successifs d’émancipation de la femme, les codes du désir et du jeux amoureux à travers les époques, ainsi que leurs problématiques actuelles. L’homme est-il devenu une femme comme les autres ? Que sont ces néo-amazones dont les attitudes " viriles " font flipper les hommes au point de les déviriliser ? Que sont les nouvelles abstinentes, les polyamoureuses... ? " Ce que femme désire " est un livre ludique écrit avec soin, sans prétention littéraire aucune, qui propose une déambulation à la fois sensible et lucide dans le cœur et l’esprit des femmes. C'est surtout un antidote jubilatoire contre le bourrage de crâne ambiant, dans une société fragilisée, où les valeurs et les règles du jeu amoureux ont changé et où chacun cherche sa place.
" Ce que femme désire " par Khadi Sy Bizet et Eliza de Varga
éditions JC Lattès, 200 pp, 12 euros.
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